« Ils y ont mis le feu » : un Haïtien filme son quartier de Port-au-Prince après les attaques de gangs
À la mi-janvier, un gang a mené une série d'attaques meurtrières dans le quartier de Solino à Port-au-Prince, en Haïti. L'un de nos Observateurs, qui habite ce quartier, a filmé les ravages après les attentats. Ses images montrent des maisons, des magasins, des voitures et une école incendiés – et même un corps calciné. Il a pu filmer après qu'une intervention policière ait ramené un certain calme dans la zone. Cependant, la paix reste précaire.
La première attaque contre le quartier de Solino, à Port-au-Prince, en Haïti, a eu lieu le dimanche 14 janvier. Derrière elle se trouvait le gang Bel Air, soutenu par d'autres gangs. Bel Air est le nom d'un autre quartier, situé à l'ouest de Solino. Pendant plusieurs jours, des habitants terrifiés se sont recroquevillés chez eux, écoutant le crépitement des tirs de mitrailleuses et regardant les colonnes de fumée s'élever dans le ciel.
"Les gens ont commencé à courir dans toutes les directions pour essayer de se sauver"
Les combats ont débuté dans l'après-midi du dimanche 14 janvier. Lundi matin, la tension est montée d'un cran. Il y a eu de nombreux tirs, des maisons ont été incendiées et les gens ont commencé à courir dans toutes les directions pour tenter de se sauver. Beaucoup de gens ont dû fuir. C'était vraiment stressant. Au début, la police n'est pas du tout intervenue. Mais ensuite, lundi, je crois, les policiers vivant à Solino ont commencé à essayer d'empêcher les gangs de poursuivre leurs assauts.
"James" (ce n'est pas son vrai nom) vit également à Solino. Il nous en dit plus sur la réponse de la police.
L'attaque a débuté dimanche 14 janvier dans la partie ouest de Solino. Ce jour-là, nous avons aperçu deux véhicules blindés de police garés dans le quartier. Mais les gangs n'ont pas été intimidés par leur présence. Mercredi et jeudi, la situation a commencé à devenir plus tendue. Les gangs ont commencé à mettre le feu partout où ils allaient.
Jeudi, la police est finalement intervenue en force. Ils ont réussi à repousser les gangs dans les quartiers qu'ils contrôlaient avant l'attaque de dimanche. Surtout, ils ont libéré la rue Bergeaud.
Une vidéo a commencé à circuler en ligne montrant un groupe de jeunes courant dans une salle paroissiale et brisant ses fenêtres. L'église en question est l'Église du Christ de Port-au-Prince, qui est reliée au College Spring Hill, situé à l'ouest de Solino. Selon "Emmanuel", le gang a fait de l'église son quartier général avant de lancer son attaque, et la police est ensuite parvenue à reprendre le contrôle du bâtiment avec l'aide de jeunes.
"La vidéo montre des jeunes du quartier brisant les fenêtres de l'église pour que les gangs ne puissent plus utiliser le bâtiment dans leur attaque. Parce qu'une fois les fenêtres brisées, on pouvait voir de l'extérieur tout ce qui se passait à l'intérieur du bâtiment", il dit.
"J'ai vu le corps brûlé d'une personne"
Le 19 janvier, au lendemain de l'intervention de la police dans l'attaque du gang, "James" est retourné dans les rues de Solino pour filmer les dégâts.
J'ai vu un certain nombre de petites entreprises, de maisons et de voitures incendiées. J'ai aussi vu trois ou quatre écoles incendiées. Tout semblait saccagé. J'ai également vu des blessés et découvert six cadavres. J'ai vu un corps calciné – apparemment celui d'une femme âgée handicapée. Sa maison avait été incendiée et elle y était. C’était difficile à filmer car des gangs contrôlent toujours la partie ouest de Solino, notamment la rue Oriol, le quartier Carrefour Péan, la route Sans Fil…
À l’heure actuelle, le quartier semble pratiquement mort. C'est comme si tout le quartier s'était vidé, même si certains profitent du calme relatif pour rentrer chez eux ou, dans d'autres cas, faire leurs valises et fuir. Personnellement, je suis resté dans le quartier ces derniers jours, principalement parce que je n'ai pas d'autre endroit où aller. Il y a encore des tirs de la part des gangs car ils sont toujours proches, à seulement un kilomètre environ de nous. [NDLR : Le quartier de Bel Air est situé à environ un kilomètre de Solino.]"
« Emmanuel » décrit aussi un état de calme inquiet.
En ce moment, c'est plutôt calme mais les gens ne se sentent pas en sécurité. Depuis l’année dernière, les attaques des gangs suivent un schéma : ils attaquent, ils échouent puis reviennent. On sent donc qu’ils pourraient revenir à tout moment.
Selon Pierre Espérance , directeur exécutif du Réseau national de défense des droits de l'homme - une ONG haïtienne - au moins 20 personnes sont mortes dans les attaques survenues ces derniers jours.
"Les victimes comprennent des personnes qui ont été tuées dans leurs maisons incendiées et d'autres qui ont été abattues par les gangs alors qu'elles tentaient de fuir les attaques", a-t-il déclaré.
Nos Observateurs affirment que les gangs veulent prendre le contrôle de Solino en raison de sa situation stratégique. Le quartier est situé entre Bel Air et la commune de Delmas. Le gang Bel Air veut pouvoir utiliser les rues de Solino pour, entre autres raisons, faciliter sa fuite lors des enlèvements de personnes à Delmas.
On estime que 80 % de Port-au-Prince est actuellement sous le contrôle des gangs, selon les Nations Unies. Face à cette crise, le conseil de sécurité de l'ONU a accepté en octobre 2023 d'envoyer une mission multinationale en Haïti, dirigée par le Kenya , afin d'aider la police locale.
Crédit texte: Chloé Lauvergnier avec France 24 et Radio Internationale d'Haïti
Commentaires
Enregistrer un commentaire