Hommage à Jean-Claude Sanon!

C’est avec beaucoup de douleur que ce matin, grâce à la page WhatsApp de mon grand ami Wilfrid " Tcho " Gervais, l’ancienne star de l’ASC et de l’Étoile Haïtienne, j’ai appris la nouvelle du décès de Jean-Claude Sanon. J’en fus vraiment bouleversé. 

Je ne me risquerai pas à parler ni de l’économiste ni de l’ancien gouverneur de la Banque Nationale de la République d’Haïti, car je ne connais rien de son bilan à ces titres. Je me pencherai simplement sur ses hauts faits en tant que chroniqueur sportif.

Fol admirateur du football depuis ma tendre enfance, j’ai toujours voué une très grande admiration à nos anciens commentateurs sportifs. Je n'ai jamais entendu la " voix d'or", rapporte-t-on, d'Antoine Hérard, retransmettant les rencontres du Parc Leconte sur les ondes de la HH2S. C’est que dans les années 1940-1950, je n’étais pas encore de ce monde. Je n’ai pas non plus le moindre souvenir de Serge Ambroise. J’étais encore gosse lorsque, dans les décennies 1960, celui-ci faisait la pluie et le beau temps à Radio Port-au-Prince.

Dans ce rôle, mes héros dans le domaine de la radiodiffusion sportive ont été ceux des années 1970. Ils furent les uns plus brillants que les autres, tous des intellectuels de belle eau. Ils se nomment : Dr Yves " Dadou" Jean-Bart, Dr Grégoire Eugène, Jr. (Gréguy), Robert Fatton, Bob Lemoine et l’ingénieur Pierre-Paul Charles. N’en déplaise à ce merveilleux quintette, il y a un sixième que je considérais comme une idole. Pour nous autres écoliers et étudiants de la décennie 1970, il était la référence. Il était de très loin le meilleur. Il s’appelait Jean-Claude Sanon.

Il y avait un tout p’tit quelque chose, une magie inexplicable en Jean-Claude Sanon. Pour moi, comme chroniqueur sportif de la presse parlée, il n'y a jamais eu et il n'y aura jamais un comme lui. Il rendait le spectacle vivant, mettait l’auditeur dans les gradins, soit au-dessous de " Eterna " ou derrière le camp sud, où régnait toujours une ambiance à tout casser. 

D’abord, Jean-Claude Sanon avait orienté le désir des jeunes écoliers et étudiants des années 1970 vers les choses de l'esprit. En l'entendant parler, on rêvait de devenir comme lui, doté d’un verbe élégant et précis. Ses mots coulaient comme l’eau de source. Souvent après une rencontre de football, entre nous, sous les lampadaires, on se mettait à l’imiter. 

Le poète et dramaturge Joseph Camy Dépas, à l’époque en première année à l’INAGHEI, l’avait justement surnommé " l’artiste et le philosophe de la radiodiffusion sportive haïtienne". En effet, seule la voix de Jean-Claude Sanon pouvait déclamer avec une rare élégance les vers que ciselait Guy Saint Vil ou les proses que dessinaient Philippe Vorbe et Jean-Claude Désir (Tom Pouce) sur la pelouse du stade Sylvio Cator. Ces messieurs faisaient avec un ballon rond sur le terrain ce qu’Émile Roumer, Carl Brouard et Jean Brierre faisaient avec une plume et un morceau de papier : de la pure et de la haute poésie!

Hormis Jean-Claude Sanon, seul un ethnologue ou un ethnomusicologue pouvait expliquer les plongées d'araignée d'Henry Francillon et de Wilner Piquant, les morceaux de yanvalou que dansaient Ernst Jean-Joseph et Raphaël Alexis, les pétros de Wilner Nazaire et d'Arsène " Pelao " Auguste, les pièces de contredanse qu’exécutaient Pierre Bayonne et Nono Jean-Baptiste, les menuets de Wilfrid " Tcho " Gervais et de Jean-Michel Malenkov, les dyoubas de Jean-Louidon Labissière et de Fritz Bobo, les congos de Manno Sanon et de Guy François, les pas d’ibo de Roger Saint Vil et d’Eddy Antoine, sans compter les formes d’une " fusée d’or " que prenaient à souhait Fito Léandre et Claude Barthélemy et les " boules de feu " de Joseph Obas et de Serge Célestin. 

Et puis quel galvaniseur était cet homme ! Deux exemples illustreront ma pensée. D’abord, à l’époque du tournoi de la Concacaf (novembre 1973 – décembre 1973) – à mon avis la plus belle époque du football national -, Jean-Claude Sanon avait galvanisé tout le pays pour assurer la qualification de notre équipe nationale à la Coupe du Monde de football qui devait se disputer en Allemagne de l’Ouest en juin 1974. Ses émissions matinales sur Radio Métropole nous firent rêver d’une autre Haïti, d’une meilleure Haïti.

Je viens au second point. Nous sommes au début de novembre 1976. Le Beerschot AC (d’Anvers) exige de la Fédération Haïtienne de Football (FHF) un versement de 20 000 dollars pour permettre à Manno Sanon d’aller jouer deux matches importants contre Cuba, le premier à la fin de novembre à la Havane et le second à Port-au-Prince, début décembre.

La FHF ne pouvait pas répondre à cette exigence, ses caisses étant vides. Jean-Claude Sanon, Bob Lemoine, Maurice Duwiquet et d’autres dirigeants de Radio Métropole ont concocté une idée géniale. Ils organisent une levée de fonds (appelée « marathon ») pour recueillir le pactole (équivalent aujourd’hui à 600 000 dollars haïtiens ou 3 millions de gourdes.)  " En l’espace d’un cillement ", le peuple, du médecin au cireur de bottes, s’est mis debout et la somme a été recueillie. Quel bel esprit de solidarité ! C’est l’esprit de Vertières, l’esprit de nos ancêtres!

Jean-Claude Sanon, lui-même ancien footballeur, avait sa façon à lui de faire voir en chacun de nos joueurs un demi-dieu. Qui peut oublier son célèbre " Philippe Vorbe tourne en rond, cherche un partenaire démarqué. Il le trouve en la personne de Guy Saint Vil…." C’était le délire, le tonnerre au stade Sylvio Cator provoqué tant par la prouesse de nos équipers que par l’excellence de Jean-Claude Sanon derrière les micros de Radio Métropole.  

Cette fois-ci, il n’y avait pas de prolongation. Nous obtînmes notre billet pour Munich ! Quel moment glorieux ! Ô temps, nous reviendras-tu?

Ce qui me plaisait également en Jean-Claude Sanon était son constant souci d’objectivité et son amour du beau et du noble. D’abord, nul ne pouvait détecter s'il était " étoiliste ", " racingniste", " violettiste", " aigle-noiriste"... Ses analyses se faisaient avec impartialité et lucidité. À sa façon, il était le " record à signaler ". 

Jean-Claude Sanon, comme le faisait Marc Duverger dans la musique haïtienne, avait pris plaisir à promouvoir les joueurs et les équipes des autres villes du pays. Contrairement à certains " messieurs de la ville ", il ne les ostracisait. Lors de l’historique rencontre Haïti -Uruguay (0-0), en juin 1973, il avait appelé le Capois Wilfrid " Tcho" Gervais " le nouvel espoir de notre football, qui mérite sa place dans notre sélection nationale ". Au cours de l’Inter-Régional 1975 à 1978, il n’avait cessé de faire l’éloge du demi jérémien Eric Saint Fleur qu’il baptisa " l'homme aux mille poumons", de l’ailier gauche cayen Jean-Joseph Mathelier, des avants gonaïviens Jacky Jean et Roland Jean, etc.

Et comme Jean-Claude Sanon était exigeant ! Nous sommes en été 1975. Une équipe de football de vacances envoie une annonce pour être passée dans son émission. Elle s’appelait “ Jamais Dodo". Sans prendre la tangente, il dit à peu près ceci : " Je demande aux dirigeants de cette équipe de choisir un autre nom, sinon, je ne vais plus passer ses annonces. Nous devons donner une meilleure image à la jeunesse haïtienne. On n’appelle pas ainsi une équipe. " Peu de temps après, il récidive en demandant aux responsables de l’équipe “ Fann Fwa " de penser à un autre nom. L’homme était fait pour les belles choses ! Quel homme ! 

Pauvre Jean-Claude Sanon ! Au cours de ces trente dernières années, on a trouvé des partis politiques portant des noms encore plus bizarres et indigestes que " Jamais Dodo" et “ Fann Fwa ". Sont devenus admissibles des noms qu’on ne pouvait même pas entendre, jusque dans les décennies 1970, dans les combats de coqs déroulés dans nos fameux " gagè".

C’est une gageure de vouloir retenir le temps, notamment le beau temps. Bientôt, les Gréguy, les Dadou, les Fatton, les Bob Lemoine, les Pierre-Paul Charles, les Jean-Claude Sanon devaient raccrocher les microphones. Depuis lors, les temps, admettons-le, ne sont plus les mêmes. Les temps ne sont plus sereins. Et c’est dommage ! Dommage ! Dommage !

Jean-Claude Sanon n’est plus. Il ne reste que la nostalgie de sa voix et la magie de ses analyses.  Bon voyage, vieux frère. Puissent les dieux de notre football, les Fito Regnier, Raphaël Sanon, Antoine Tassy, Gérald Haig, Sénatus Lafleur, Joseph Obas, Ernst Jean-Joseph, Manno Sanon et les autres l’accueillir les bras ouverts dans leur royaume. Que la terre lui soit légère !


Crédit: Louis Carl Saint Jean

louiscarlsj@yahoo.com

31 octobre 2023"

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