Haïti-RD/ Le Canal de la Vigía: nouvelle consécration de l’hydrohégémonie dominicaine et risque d’escalade dans le conflit du fleuve Masacre.


Conflits liés à l’eau, la République dominicaine soumise à la loupe internationale.
La République dominicaine, en réponse à la position ferme des agriculteurs haïtiens,
appuyés au moins officiellement par l’État haïtien, d’utiliser les eaux du fleuve Massacre
pour irriguer les terres de la plaine de Maribaroux, a décidé de remettre en service le
canal de la Vigía situé sur la rive droite du fleuve. Plus, qu’un canal d’irrigation des
terres agricoles, la présidence dominicaine considère ce travail comme une sauvegarde
des ressources en eau au profit des producteurs dominicains. Le canal la Vigia
contournera Dajabón pour rejoindre trois autres ouvrages hydrauliques dominicains en
aval du bassin versant de Pittobert. Ce nouveau travail, réalisé sans consultation et
sans notification préalable à l’État haïtien, constitue un risque d’escalade et ne
contribuera en aucun cas à une résolution pacifique rapide du conflit. Sa construction
révèle une vision hégémonique et exclusiviste de l’utilisation d’une ressource en eau
partagée. Nous chercherons à déterminer les éléments factuels soutenant cette
tendance, à comprendre les conséquences possibles sur la disponibilité de l’eau du
côté haïtien et les implications de ce travail au regard de la loi. Nous présenterons à
nouveau des propositions fermes et réalistes pour une solution durable à ce conflit.
Une vision hégémonique et exclusiviste de l’utilisation d’une ressource en eau
partagée. 

Aujourd’hui, l’eau est devenue « un enjeu géostratégique important qui peut
potentiellement conduire à des antagonismes » (Aksoy, 2019). Si la coutume
internationale et les principes fondamentaux du droit international des cours d’eau et
des lacs prévoient une utilisation équitable, raisonnable et non nocive des ressources
en eau communes, il s’ensuit que de nombreux États qui partagent un cours d’eau
international veulent établir leur hégémonie dans l’utilisation de cette ressource à leur
propre avantage, au détriment des autres en profitant de leur position géographique, de
leur puissance économique, politique ou militaire, voire de l’appropriation d’un
continuum historique dans une logique de premier utilisateur- propriétaire (Duhautoy,
2014).

Zeitoun et Wagner (2006) comprennent l’hydrohégémonie comme le désir de l’un des
pays riverains d’un cours d’eau d’atteindre et de consolider un contrôle maximal des
ressources en eau par des actions unilatérales. C’est une volonté de capter
unilatéralement les ressources en eau qui implique toute une série de mesures
coercitives contre d’autres États qui recherchent une répartition équitable. Zeitoun et
Warner indiquent que les États hégémoniques savent comment utiliser la force militaire,
les actions subversives déstabilisatrices ou les mesures de coercition et de pression
telles que les menaces militaires ou les sanctions économiques pour parvenir à leurs
fins. Ces sanctions économiques sont parfois imposées pour empêcher la construction
d’aqueducs par d’autres États riverains (Blanchon, 2009).

Dans le cas du fleuve Masacre, la République dominicaine a toujours agi comme une
puissance hégémonique voulant imposer sa compréhension d’une utilisation
exclusiviste de l’eau. Les actions qu’elle a entreprises depuis 2021 et, en particulier,
depuis la reprise de la construction du canal de captage de Juana Méndez en août
2023 le démontrent clairement. Le gouvernement dominicain a déployé son armée à la
frontière, maintenant une forte présence de ses troupes à quelques mètres du lieu de
capture, ce qui est clairement une mesure d’intimidation. Il a fermé ses frontières avec
Haïti, paralysant tous les échanges économiques dans le but évident de pousser les
Haïtiens dépendants de la production agricole haïtienne à forcer l’arrêt des travaux en
cours et ainsi obtenir la réouverture des marchés binationaux. Les « sanctions »
imposées aux citoyens haïtiens s’inscrivent dans cette même logique de représailles.
Cette vision hégémonique n’est pas nouvelle. Elle se matérialise dans tous les travaux
réalisés dans le cours d’eau et dans la quantité de ressource hydrolique que ce pays
(République Dominicaine) utilise déjà pour les besoins de sa population. Dans une note
d’information publiée le 26 mai 2021 par les ministères de l’Environnement et des
Ressources naturelles et de l’Agriculture de la République dominicaine et les deux
principales agences de gestion de l’eau de ce pays, l’Institut national des ressources
hydrauliques (Indrhi) et l’Institut national de l’eau potable et de l’assainissement
(Inapa), la partie dominicaine reconnaît avoir tiré un débit de 3,22 mètres cubes par
seconde de la rivière Massacre à travers 10 canaux d’une longueur totale de 38,10
kilomètres. Le canal 11, celui de La Vigía, n’était plus fonctionnel au moment de cette
note. La République dominicaine reconnaît également l’existence d’un barrage en terre
de stockage d’eau pour l’irrigation dans la région de Cabeza de Caballo qui a un
volume de stockage de 0,6 million de mètres cubes et une construction de barrage en
terre appelée La Piña avec un volume de stockage de 1 million de mètres cubes
d’eau.


Nous comprenons ici une utilisation abusive et unilatérale, complètement
disproportionnée et inégale, que la République dominicaine fait d’une ressource en eau
commune si l’on ne prend en compte qu’une étude menée par l’armée américaine
datant de 1999, évaluant le débit de la rivière Massacre à 5 mètres cubes 34 par
seconde (nous rappelons que la République dominicaine reconnaît une déviation de
3,22 mètres cubes par seconde de ce débit). Cette prétendue « hydrohégémonie »
est préjudiciable à Haïti et ne cadre pas avec les principes fondamentaux du droit
international et des accords bilatéraux entre les deux États.
Le canal de la Vigía, son impact sur la disponibilité des ressources en eau et ses
conséquences juridiques.

La réactivation du canal de la Vigía, son prolongement pour atteindre la rivière en aval
de la pointe Pittobert, représente un nouvel obstacle et une possibilité de complication
et de blocage des négociations qui auront lieu entre les deux pays. Le plan de
construction est le suivant: dans deux ou trois semaines, l’État dominicain rouvrira et
nettoiera le canal en un kilomètre et demi, de sa longueur actuelle. Des pompes seront
installées pour pousser l’eau de la rivière vers cette prise d’eau. À moyen terme, le
projet est plus ambitieux. Le canal de la Vigía sera prolongé de plusieurs kilomètres
pour le relier à trois systèmes d’irrigation: Veterano 0, Veterano 1 et Don Pedro. Ces
trois systèmes sont situés en aval de la prise d’eau de Pittobert.

L’intention sans embage et déclarée de la République dominicaine est donc de
détourner l’eau en amont, de la faire passer par un canal et de la retourner dans les
trois systèmes d’irrigation mentionnés ci-dessus. Cela équivaut à réduire
considérablement le débit du fleuve pour Haïti. Plus précisément, le volume d’eau
disponible avec cette nouvelle structure, sera minuscule. L’alimentation du canal
Pittobert est menacée par un débit si minime qu’il ne pourra en aucun cas répondre
aux objectifs initiaux du projet d’irrigation de 3 000 hectares de terres dans la plaine de
Maribaroux. Ces travaux sur le canal de la Vigía pourraient rendre le canal Pitobert
obsolète avant même son achèvement. La République dominicaine veut maintenir
l’usage exclusif du fleuve Masacre en détournant unilatéralement une grande partie de
l’eau pour en priver la partie haïtienne. Cette nouvelle prise d’eau augmentera le
volume total capté par la République dominicaine, alors qu’Haïti n’a jusqu’à présent
commandé aucun travail de collecte d’eau, puisque le canal de Pittobert est encore en
construction.

La construction du canal de la Vigía soulève également de graves problèmes
juridiques. Le président dominicain a déclaré lors de la présentation du projet que cet
ouvrage a été construit en 1966 avec l’approbation du gouvernement haïtien.
Cependant, aujourd’hui, ils l’ont remis en service sans en informer l’État haïtien. Pire,
cette structure connaîtra une grande étendue de plusieurs kilomètres ce qui entrainera
une augmentation du volume d’eau capté. L’obligation d’information et de notification
exigée par les principes fondamentaux du droit international fluvial n’est pas
respectée. La République dominicaine n’a pas soumis le descriptif de projet contenant
des détails techniques et des études préliminaires d’impact environnemental et social.
L’Assemblée générale des Nations Unies, à l’article 3 de sa résolution 3281 (XXIX),
précise : Dans l’exploitation des ressources naturelles communes à deux ou plusieurs
pays, chaque État doit coopérer sur la base d’un système d’information et de
consultations préalables afin d’assurer l’exploitation optimale de ces ressources sans
préjudice des intérêts légitimes des autres États. Cet acte unilatéral est absolument
contraire aux normes du droit international.

La construction de cet ouvrage constitue également une violation du Traité de paix,
d’amitié et d’arbitrage du 20 février 1929. Cela aggravera la réduction du débit d’eau,
modifiant davantage la disponibilité de l’eau du côté haïtien. C’est ce travail qui peut
être considéré comme une réelle déviation du fleuve, ce qui est expressément interdit
par l’article 10 du présent accord. Cette déviation est faite pour empêcher Haïti
d’utiliser la rivière Massacre. En réduisant davantage le débit du fleuve, les
conséquences sont directes pour le bassin de Pittobert, qui n’aura pas assez d’eau
pour atteindre ses objectifs.

Solutions juridiques pour l’utilisation équitable de la ressource commune.
Rappelons que le droit international prescrit une utilisation équitable, raisonnable et
non nocive des ressources en eau. Nous tenons également à rappeler la jurisprudence
de la Cour internationale de Justice a consacré dans l’arrêt du 25 septembre 1997
dans l’affaire du projet Gabcikovo-Nagymaros (Hongrie/Slovaquie) ces grands
principes d’utilisation proportionnée et non préjudiciable. La Cour internationale de
Justice reprend la disposition d’un arrêt de 1929 de la Cour permanente de Justice
internationale sur le droit des États côtiers sur un fleuve navigable de l’étendre à
l’utilisation des cours d’eau à des fins autres que la navigation. Il entérine définitivement
le principe de l’égalité parfaite des États côtiers dans l’utilisation d’un cours d’eau: « Le
développement moderne du droit international a renforcé ce principe également pour
les utilisations des cours d’eau internationaux à des fins autres que la navigation». Des
actions hâtives, telles que la construction du canal de la Vigía, peuvent conduire à une
escalade d’un conflit qui nécessite apaisement et consultations. Les citoyens haïtiens
commencent déjà à recommander comme solution la construction d’ouvrages ou même
le détournement des principaux affluents haïtiens du fleuve Massacre, du fleuve
Capotillo et du fleuve Gens de Nantes, qui se trouvent en amont de la prise d’eau de
la Vigía.

Cette escalade n’est pas souhaitable. Il est impératif que les deux États reviennent à la
table des négociations sans conditions préalables, dans l’esprit du Traité de 1929 qui,
comme le rappelle à nouveau une note de l’Organisation des États américains, vise une
répartition équitable des ressources en eau communes. Les deux pays peuvent
toujours accepter la médiation internationale ou même aller en arbitrage. La partie
haïtienne devrait déjà informer la partie dominicaine d’une protestation officielle et
exiger autant d’informations que possible sur le projet. réhabilitation et extension du
canal de la Vigía. Cela favorisera la voie diplomatique. Chacune des parties, et en
particulier la République dominicaine, doit savoir que la force ne pourra jamais offrir une
solution durable à ce conflit.


Texte de Maismy-Mary Fleurant (Santo Domingo) Diario libre (journal distribuer gratuitemen

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